Compositrice italienne, Caterina Barbieri est depuis dix ans l’autrice d’une musique électronique singulière, chargée de vie, d’énergie et d’une grande puissance spirituelle. Programmatrice, aux côtés de Gisèle Vienne et d’Isabelle Piechaczyk, de la série de concerts My Eyes Glaze Over : un hommage à Peter Rehberg, elle évoque la figure de ce compositeur prolixe, directeur du label Editions Mego et figure-pivot de la nouvelle scène électronique et de la computer music apparues dans les années 1990.

 

 

Quelles relations entreteniez-vous avec Peter Rehberg ?

Après avoir échangé quelques mots via e-mail, nous nous sommes rencontrés à Vienne vers 2018 à l’occasion d’un concert que je donnais là-bas. Il s’est tout de suite montré très chaleureux. Il m’a invité chez lui, dans son appartement, où il conservait son immense collection de disques, ainsi que dans son pub préféré, un lieu très simple, sans ostentation, qu’il fréquentait régulièrement. L’année suivante, son label Editions Mego publiait mon quatrième album, Ecstatic Computation. À partir de là, nous avons développé une relation amicale, même si je ne l’ai rencontré que dans les dernières années de sa vie. Nous nous sommes souvent revus à Vienne ou à Berlin, où il vivait désormais une partie de l’année.

 

 

Il était réputé proche des artistes qu’il défendait sur son label…

C’est en effet quelque chose qu’il aimait cultiver avec une grande partie des artistes avec lesquels il travaillait. Il souhaitait construire avec eux une relation à la fois professionnelle et amicale, d’une manière franche, directe et transparente. Ce qui me semble finalement rare dans le monde de la musique aujourd’hui, même si la scène underground parvient parfois encore à conserver cette dimension humaniste. J’admirais sincèrement cet aspect de sa personnalité, et plus encore, sa curiosité toujours insatiable. Au-delà de son travail historique et de son respect pour les figures pionnières de la musique électronique, il suivait avec passion l’évolution de la scène actuelle, se montrait sensible à de nouveaux courants, curieux envers les plus jeunes artistes, et c’est sans doute la raison pour laquelle nous étions devenus amis. Il était aussi généreux en conseils et a souvent joué pour moi un rôle de mentor. Tout cela m’a beaucoup inspirée et aidée dans la création de mon propre label, light-years. Sans lui, je n’aurais pas osé me lancer dans une telle aventure, et je lui en suis très reconnaissante. C’était également un homme qui aimait partager son savoir : il m’envoyait régulièrement de très nombreux disques qu’il me conseillait d’écouter.

 

 

Partagiez-vous les mêmes goûts musicaux ?

Oui, même si nous ne sommes pas de la même génération. Plus de vingt ans nous séparent, Peter Rehberg et moi. Ma propre musique lui doit d’ailleurs beaucoup. Vers 2006-2010 environ, quand j’étais plus jeune et que je commençais à sortir en concert, – je vivais alors à Bologne, en Italie – j’ai découvert et j’ai été influencée par une grande partie de la computer music, de la musique expérimentale ou électronique publiée par le label Editions Mego. Tout d’abord, ses propres disques, signés sous le nom de Pita, en particulier la série des Get Out (1999) ou Get In (2016), très abstraits, construits autour de cette esthétique du glitch. Et puis bien sûr la musique du Viennois Christian Fennesz avec Endless Summer (2001), qui reste pour moi un disque fondamental, emblématique de cette période. J’ai aussi été marquée par Returnal de Oneohtrix Point Never, qui a contribué à la reconnaissance internationale de son compositeur, Daniel Lopatin. Sans oublier Quantum Jelly (2012) de mon compatriote Lorenzo Senni, qui avait marqué les débuts de sa carrière. Peter Rehberg avait toujours eu ce talent pour repérer des jeunes artistes qui, plus tard, s’imposeraient sur la scène internationale.

 

Propos recueillis et traduction réalisée par Pauline Destouches.

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