Des arts visuels au monde sonore, du jazz à la musique écrite, de la Turquie à Paris, avec un détour en Californie, les chemins qui la mènent à la composition sont multiples. Didem Coşkunseven est une artiste atypique qui aime ouvrir grands ses horizons. Elle est à l’affiche du festival ManiFeste-2024 de l’Ircam avec une nouvelle pièce électronique qu’elle a conçue en fonction des qualités immersives de l’Espace de projection.

 

Didem Coşkunseven connaît bien la maison, l’ayant assidûment fréquentée lors de son année de Cursus en 2021. L’espace tout à la fois poétique et onirique qu’elle parvient à créer dans Day was departing, sa pièce de Cursus convoquant la voix, le geste, la vidéo et l’électronique, nous avait séduit. En février 2023, elle est à l’affiche du concert de l’Itinéraire avec Dawn Chorus pour vibraphone, marimba et électronique, un premier contact avec l’Espro qu’elle va retrouver le 15 juin prochain.

Si Didem s’est orientée au début de sa formation vers les arts visuels (un programme combiné de premier cycle en peinture et sculpture), l’environnement sonore dans lequel elle évolue semble déjà beaucoup compter pour elle : « Un souvenir qui me remplit encore d’enthousiasme est la découverte de l’album Kid A de Radiohead en 2000, alors que je n’avais que quatorze ans. La musique du groupe m’a beaucoup impressionnée et j’apprécie toujours son travail aujourd’hui.»

 

Dans sa vingtième année, alors qu’elle prend des cours de guitare jazz, elle aborde le monde fascinant du Suédois Esbjörn Svensson et d’autres sommités nordiques du jazz dont les modèles resteront dûment ancrés dans son parcours artistique. À cette même époque, la rencontre avec le compositeur et musicien de jazz turc Emin Fındıkoğlu est décisive ; elle travaille avec lui chaque semaine en privé la composition de jazz à Üsküdar, un district sur la rive asiatique d’Istanbul. La patience et l’écoute qu’il lui accorde la mettent en confiance et booste son travail à venir. Elle mène alors une activité de compositrice et de musicienne freelance, jouant du clavier et du synthétiseur dans le duo de jazz indépendant BLOV.

 

« J’ai toujours eu une passion pour les costumes, les tissus, les couleurs, les formes, les objets de design. »

 

Didem a 25 ans lorsqu’elle se penche sérieusement sur le répertoire écrit de la musique d’aujourd’hui, choisissant de suivre au Center for Advanced Studies in Music d’Istanbul (ITU) un cours d’Histoire et Philosophie de la nouvelle musique qui lui fait découvrir plus particulièrement l’esthétique spectrale. Poursuivant cette voie académique, elle débute en 2018 une thèse de doctorat en composition à l’Université de Californie de Berkeley, travail qu’elle finalise en 2022. « Si je regarde aujourd’hui le parcours que j’ai accompli, il semble que j’aie mûri à bien des égards. Les amitiés et les collaborations m’ont aussi beaucoup appris. Jusqu’ici, tout va bien ! ».

 

À l’issue de son année de Cursus en 2021, Didem Coşkunseven décide de rester à Paris où elle travaille aujourd’hui en tant que compositrice. Les lieux ont un profond impact sur elle, Istanbul et Paris laissant des impressions durables : « L’une de mes activités préférées à Paris est d’entrer dans les librairies de bandes dessinées, d’engager de longues conversations avec le personnel et de rechercher leurs nouveautés. Je collectionne également des livres pour enfants dans différentes langues. J’ai besoin de raconter des contes et des histoires à travers ma musique. Je suis une exploratrice infatigable. »

 

Comme en témoigne sa pièce de Cursus, Day was departing, faisant appel à la danse et à la vidéo, Didem aime concevoir ses projets dans la transdisciplinarité : « J’ai travaillé quelque temps dans l’industrie cinématographique à Istanbul en tant qu’assistante de direction artistique. Rechercher des collaborations avec des artistes de différentes disciplines était quelque chose de naturel pour moi, et je le faisais avec beaucoup de plaisir. [...] C’est souvent un défi pour une compositrice de se lancer dans une œuvre collaborative mais c’est aussi l’une des meilleures choses que l’on puisse vivre : de longues heures de conversations enrichissantes avec votre/vos collaborateur(s) vécues dans l’impatience et l’excitation. Cela maintient le désir en alerte. »

Répétitions de Drawing the sun © Deborah Lopatin

 

Pour autant, la pièce qui sera créée à ManiFeste, Drawing the sun, est purement électronique et réalisée avec les logiciels Ableton Live et MaxMSP. « Je serai seule en régie avec mes outils, l’ordinateur, les synthés, les contrôleurs et les claviers. Je garde également à l'esprit l'espace de performance en lui-même car je prends en compte évidemment les interactions entre l’espace et la musique lors de la composition. » Une création lumière est toutefois prévue dans le projet, pour laquelle la compositrice avait préparé un moodboard1 « super excitant ».

 

Cette performance, avec le public en partage, est aussi pour Didem une expérience collective où s’établit une connexion singulière entre l’auditeur et la performeuse, « ce frisson d’enchantement suscité par l’acte d’écouter de la musique en concert », dit-elle, qu’elle nomme, selon le concept développé par Federico Garcia Lorca, El Duende. Magie et mystère !

 

1 Un moodboard (planches de tendance), utilisé par les graphistes, est un montage d’images, de texte et d’objets pour montrer, en amont d’un projet, le style recherché.

Crédit photo de couverture : Yucegul Cirak